passeursdhospitalites | 13/03/2016
Le récit que vous allez lire ci-dessous raconte qu'au-delà de la volonté d'exclure les exilé-e-s de la ville à défaut de les faire disparaître (voir ici et là), la municipalité de Calais fait également tout ce qu'elle peut pour empêcher tout débat, tout lien, toute prise de conscience. Mais elle montre aussi un fonctionnement bizarre des institutions : un adjoint au maire débarque dans une école pour interdire au personnel de l'Éducation nationale, qui ne lui est absolument pas subordonné, de réaliser une activité. On s'imagine dans une bourgade du Far West, où le chef de la ville arrive avec son colt pour faire sa loi. Ou sous un autre régime, où le responsable du Parti s'immisce dans tous les aspects de la vie sociale pour censurer ce qui n'est pas dans la Ligne. Le Défenseur des Droits a été saisi par l'École Laïque du Chemin des Dunes.
Par Veronika Boutinova :
CENSURE EN SOURDINE A CALAIS CUL-DE-SAC
"Artiste à Calais, auteure associée de la Compagnie D.T.F., j’accomplis depuis 2007 des actions de sensibilisation sur le sort des exilés de Calais auprès des lycéens, collégiens, écoliers. J’interviens bénévolement depuis plusieurs années au sein de l’école de l’Esplanade autour de thèmes divers dont celui des migrations.
Je me suis rendue le 25 avril dans la classe de CE1 de cette école pour une action sur l’Ecole Laïque du Chemin des Dunes, action intitulée « La Caravane de l’amour ». La maîtresse faisait alors un cours sur les écoliers du monde (Japon, Afrique…). J’ai montré aux élèves intéressés des photos et des extraits de films d’un atelier peinture donné aux enfants étrangers de l’ELCD, ainsi que des caravanes où ils vivent avec leurs familles ; nous avons parlé du petit Nali, un garçonnet irakien de leur âge. La consigne ensuite consista à dessiner une rencontre entre deux enfants (calaisien et exilé) et à imaginer un dialogue entre eux. Les résultats furent touchants, les questions nombreuses sur la situation des enfants dans la migration. J’ai envisagé avec la professeure une rencontre entre les enfants : Zimako qui travaille à l’ELCD m’avait proposé d’amener des enfants des caravanes à l’école de l’Esplanade. Lorsque j’ai envisagé cette possibilité, les écoliers de l’Esplanade étaient enchantés, certains ont écrit des lettres au petit Nali.
J’ai appris le 6 mai par la maîtresse de la classe de CE1 que l’adjoint au maire à l’Enseignement était venu dans l’école rencontrer le Directeur, M. Jacquard, pour évoquer mon action. La maîtresse m’a informé qu’elle ne pouvait plus la continuer avec moi.
Il faut savoir qu’avant cette mésaventure, c’est l’adjoint à la Culture de la mairie de Calais qui avait interdit une lecture de mon dernier livre Calais Cul-de-sac au cœur du Musée des Beaux-Arts autour des œuvres d’Annette Messager qui m’avait quant à elle donné son accord avec enthousiasme.
Promouvoir une parole favorable aux exilés semble être un crime voué à la censure de la municipalité calaisienne.
La Présidente de la Compagnie a écrit à l’Inspecteur de l’Education Nationale qui nous a manifesté sa confiance et son soutien, affirmant avoir prévenu les enseignants qu’ils sont libres du contenu de leur enseignement à condition qu’ils soient en conformité avec les instructions officielles, ce qui est le cas selon lui pour notre action. J’ai renoncé à faire venir les enfants de l’ELCD, mais je les ai invités à assister une représentation théâtrale que je donne au cinéma l’Alhambra le 3 juin pour les élèves de l’Esplanade. J’attends ensuite le mois de juin pour retourner voir la maîtresse et voir s’il y a possibilité de continuer à travailler avec elle sur un texte pour enfants Wahel, roi d’Angleterre que je viens d’achever et qui raconte le voyage de deux enfants syriens."
Veronika Boutinova