Source : Le monde - Jean-Pierre Stroobants - 23/09/2020
Le texte présenté mercredi à Bruxelles entend surmonter les divisions apparues depuis 2015 entre les pays membres et trouver un compromis entre contrôle et solidarité.
Meilleure gestion des frontières extérieures, politique de retours accélérée, solidarité obligée et « constante » entre les pays, code de conduite pour les secours en mer, nouveaux partenariats avec les pays d’origine, etc. : avec ses milliers de pages, le projet de « pacte pour la migration » que doit présenter, mercredi 23 septembre, la Commission européenne, recherche un compromis entre les visions, parfois très opposées, des pays membres, entre contrôle et solidarité.
Pour surmonter les vieilles rancœurs, l’accord de Dublin sera-t-il « aboli », comme l’indiquait récemment la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen ? Son principe – le pays d’entrée des réfugiés est seul responsable de l’instruction de leurs demandes d’asile – est mis de côté : l’afflux massif de 2015 a démontré qu’il était inapplicable. Il serait remplacé par une nouvelle procédure visant à ce que chaque pays de l’Union européenne (UE) participe à l’effort de répartition, de traitement des requêtes, ou des retours.
Ainsi, un migrant candidat à l’asile sera contrôlé à la frontière extérieure de l’Union. Si sa demande est jugée recevable, il entrera ensuite dans la procédure « classique » d’examen, qui devrait durer douze semaines au maximum. Pour soulager la Grèce, l’Italie ou Malte, cet examen pourrait être mené par un autre Etat membre. Ensuite, les démarches seraient accélérées, tant pour les déboutés, reconduits dans leur pays d’origine, que pour ceux qui obtiennent le statut protecteur, avec des relocalisations mieux gérées au sein de l’UE.
Mieux réagir à différents types de situation
Afin d’organiser enfin la solidarité et le partage des tâches, un schéma complexe est imaginé, en vue de surmonter les divisions suscitées, depuis 2015, par les tentatives précédentes, dont, notamment, le fiasco des quotas obligatoires censés répartir les demandeurs d’asile d’un pays à l’autre de l’Union. Cette fois, trois cas de figure sont retenus, pour mieux réagir à différents types de situation : pression migratoire normale, crise risquant de mettre en péril tout le système d’asile, ou sauvetages d’urgence en mer.

En cas de pression, une clé de répartition prenant en compte pour moitié le produit intérieur brut (PIB) du pays et, pour l’autre moitié la population, serait définie. Avec, aussi, une prise en compte de l’effort d’accueil déjà fourni au cours des cinq dernières années. La relocalisation bénéficierait notamment aux candidats à l’asile qui viennent d’un pays dont plus de 20 % des ressortissants bénéficient déjà en Europe de cette protection. Cette dernière clause ne serait cependant pas appliquée en temps de crise aiguë, pour gérer plus rapidement l’afflux et éviter l’engorgement dans le pays de première arrivée.
Difficile d’imaginer, toutefois, que les pays de l’Est se rangeront aisément derrière un tel dispositif. Et comme ils maintiendront sans doute leur refus de tout accueil, on leur propose d’assumer une mesure innovante : des « retours parrainés ». Ils devraient, toujours dans l’esprit d’une solidarité partagée, organiser et financer le retour des personnes déboutées, avec la possibilité de choisir parmi celles-ci en fonction de leur nationalité. Le rapatriement devrait s’effectuer dans un délai de huit mois (quatre mois en temps de crise). Si ce n’est pas le cas, les Etats concernés seront tenus de relocaliser les migrants sur leur territoire.
La fourniture d’équipements (bateaux, avions, matériels techniques) ou de moyens humains (des gardes-frontières) serait une autre façon de contribuer à la solidarité réclamée. Le tout, dans le cadre d’un acte légal contraignant, impliquant tous les pays. Par ailleurs, un « mécanisme correcteur de masse critique » accompagnerait le processus : il sera déclenché si 30 % des objectifs fixés ne sont pas atteints et imposera alors de nouvelles contraintes.
Electrochoc causé par Moria en feu
Un autre dispositif serait censé s’appliquer pour les sauvetages en mer : une sorte de conférence annuelle des « donateurs » fixerait préventivement un quota d’admission pour des pays – assez peu nombreux à ce stade – se portant volontaires.
L’agence Frontex devrait, elle, participer plus activement à la gestion des retours. Et les pays vers lesquels seront renvoyés les migrants se voient proposer des mesures incitatives dans le domaine du commerce, du développement ou des visas.

Le texte dévoilé mercredi vise, en fait, à tourner l’une des pages les plus douloureuses de l’histoire récente de l’Union et à éviter que se développent d’autres camps comme celui de Moria, en Grèce. Car ce sont bien les dramatiques incendies survenus sur l’île de Lesbos et l’illustration de l’incapacité des dirigeants européens à mettre en œuvre une politique d’asile cohérente qui avaient incité Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, à anticiper la présentation de ce pacte.
La Commission table sur l’électrochoc causé par les images de Moria en feu. Son projet réussira-t-il, alors que beaucoup d’autres initiatives migratoires se sont enlisées ? Longuement pré-négocié, il devrait, en tout cas, recueillir un assentiment minimal des différents camps qui s’opposent : les pays de « première ligne » (Grèce, Italie, Malte…) qui réclament plus d’aide de leurs partenaires ; les Etats (Allemagne, France, Irlande, Suède, Autriche…) qui ont ouvert partiellement leurs portes aux demandeurs d’asile mais exigent plus de solidarité, et enfin les pays de l’Est (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie…) qui ont rejeté avec intransigeance toute idée d’accueil mais sont sous pression.
A tous, la Commission propose, en tout cas, un objectif unanimement partagé : une meilleure gestion des frontières extérieures. Les procédures actuelles – notamment les prises d’empreintes et leur inclusion dans le fichier Eurodac – sont lentes et pas toujours uniformisées. Bruxelles entend imposer une période maximale de cinq jours pour l’examen de l’identité et de la santé d’un demandeur d’asile, ainsi que d’aspects sécuritaires éventuels. En fonction des législations nationales, cet examen pourrait être couplé à une garde à vue.
Les mineurs d’âge, les malades et les familles avec des enfants de moins de 12 ans pourraient, eux, pénétrer dans le pays – et non être cantonnés aux frontières – pour introduire leur demande. Un autre Etat que celui de première entrée pourrait les accueillir et traiter leur dossier, afin d’accélérer le processus.
Un nouveau mécanisme de surveillance
Pour prévenir les refoulements abusifs auxquels se livrent certains pays, un nouveau mécanisme de surveillance serait défini avec l’Agence européenne des droits fondamentaux, basée à Vienne. En cas de rejet de la demande d’asile, une seule possibilité d’appel existerait et devrait déboucher sur une décision définitive dans les deux semaines. En cas de refus de la demande, un ordre de retour serait délivré, à exécuter dans les trois mois au maximum.
Dans le très vaste ensemble qu’elle a élaboré, la Commission suggère d’autres innovations : le regroupement familial serait facilité – un migrant pourrait par exemple rejoindre un frère ou une sœur – ; la participation à un sauvetage en mer ne pourrait être, à elle seule, un motif pouvant déclencher des poursuites judiciaires ; les Etats ne disposeraient pas d’un temps illimité – comme le prévoyait le dernier projet de réforme de Dublin – pour renvoyer vers le pays de première entrée un migrant séjournant illégalement sur leur territoire.
A noter enfin que l’espace Schengen – dont Mme von der Leyen a évoqué récemment la « réforme » – n’est pas inclus dans ce projet. Les propositions de Bruxelles pour de nouvelles règles seront dévoilées au début de 2021. Tout comme celles qui devraient concerner la migration légale, censée favoriser l’accueil « de talents et de compétences ».