Source : Le monde - Marina Rafenberg - 10/07/2020
Après avoir vécu les affres de l’exil, ce jeune Guinéen de 20 ans, arrivé sur l’île de Lesbos en 2016, a été admis à l’Institut d’études politiques de Paris. Mais pour le moment, la belle histoire s’arrête à la frontière grecque.
« Je suis bloqué ici, en Grèce, à la porte de mes rêves. » Amadou Diallo, 20 ans, a été admis à Sciences Po Paris, mais l’avenir du jeune Guinéen est suspendu au jugement de la cour d’appel d’Athènes qui s’est réunie le 8 juillet pour statuer sur sa demande d’asile. La décision finale, elle, pourrait prendre des mois. Pourtant, le temps presse. La rentrée est prévue mi-septembre et la justice grecque n’est pas réputée pour sa rapidité. Avec l’épidémie de Covid-19, les tribunaux ont été fermés pendant deux mois et l’audience d’Amadou, qui devait se tenir le 13 mai, a été reportée.
Mais sans document officiel des autorités grecques, les portes de l’institution de la rue Saint-Guillaume pourraient n’être qu’un lointain mirage. « Cette attente est angoissante, confie le jeune homme, son pied droit tapotant nerveusement le sol. Après trois ans de procédure, et deux appels rejetés, je suis désespéré… » De son côté, Sciences Po Paris assure avoir « plaidé en faveur d’Amadou auprès de l’ambassadeur de France en Grèce qui suit de près cette situation inédite ».
Echoué dans les rues d’Athènes
Derrière son sourire timide et son regard mélancolique, Amadou cache une histoire faite d’exil, de traumatismes et de blessures. En octobre 2016, quand, âgé d’à peine 16 ans, il débarque sur l’île grecque de Lesbos, alors principale porte d’entrée des réfugiés en Europe, rien ne le prédestine à passer le concours de l’Institut d’études politiques. En Guinée, sa famille appartient à la communauté peule, persécutée, souvent prise pour cible lors de manifestations.
« Amadou est la preuve qu’en étant suivi et épaulé, un jeune réfugié peut se reconstruire. » Sofia Kouvelaki, directrice de l’ONG Home Project
Il n’est encore qu’un enfant quand il perd ses parents. De son père, autodidacte, francophone, téléspectateur assidu de France 24, il parle au présent ou à l’imparfait avec une admiration sans faille. « Il voulait que je poursuive mes études, il avait économisé pour m’envoyer dans une école privée en Guinée », raconte-t-il les yeux brillants. Mais Amadou n’aime pas s’attarder sur les événements tragiques de sa vie.
Un jour, l’adolescent à bout veut fuir les maltraitances du domicile où il était accueilli, prend un bus pour le Mali puis un avion pour la Turquie. Quelques semaines plus tard, il se retrouve en Grèce. « Évidemment, c’est la peur au ventre que s’est déroulé ce voyage, confie Amadou. Et arrivé à Lesbos, le cauchemar n’était pas fini… »
Comme la majorité des quelque 5 000 mineurs non accompagnés sur le sol grec, Amadou est acheminé par un réseau de passeurs. À son arrivée en Grèce, les frontières de l’Europe se sont déjà refermées. Pire encore, en mars 2016, l’accord UE-Turquie prévoit de contenir sur les îles tous les demandeurs d’asile le temps de l’examen de leur demande et de renvoyer dans leurs pays d’origine ceux qui ne sont pas éligibles.
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Le camp de Moria sur Lesbos devient une prison à ciel ouvert. Les conditions sanitaires y sont exécrables. Le surpeuplement, les rixes et un incendie rendent son quotidien insupportable. Amadou n’y reste que quelques semaines. Il réussit à embarquer, caché, sur un ferry pour le port du Pirée. Mais à Athènes, sans connaissances ni ressources, il se retrouve à la rue.
Un élève brillant
Hébergé dans un foyer pour sans-abri, il a la chance en décembre 2016 de faire la rencontre de membres de l’ONG Home Project qui vient en aide à 220 mineurs non accompagnés en leur offrant un logement, une structure éducative, des aides psychologiques légales, des activités favorisant l’insertion sociale… « Nous organisions une soirée à l’approche de Noël réunissant des habitants d’un quartier défavorisé d’Athènes et des réfugiés, et Amadou est apparu, se souvient Sofia Kouvelaki, la directrice de l’association. C’est l’un des premiers à avoir rejoint notre programme. Et c’est vite devenu un exemple d’intégration et d’excellence. Il est la preuve qu’en étant suivi et épaulé, un jeune réfugié peut se reconstruire. »
Amadou témoigne une reconnaissance infinie à l’égard de l’équipe du Home Project : « Avant, ma préoccupation était de couvrir mes besoins primaires, de trouver de la nourriture, d’avoir un lieu pour dormir. Mais une fois que j’ai été pris en charge, j’ai repris une vie normale et j’ai recommencé à me projeter dans le futur. » Pendant deux ans, il suit des cours à l’école publique multiculturelle d’Athènes, spécialement conçue pour les enfants migrants.

Après trois ans de procédure, la demande d’asile d’Amadou Diallo devait être examinée début juillet mais la décision pourrait se faire attendre de longs mois. Louisa Vradi pour M le magazine du Monde
Mais lui, qui manie si bien le français, veut poursuivre ses études dans la langue de Molière et souhaite intégrer le lycée franco-hellénique Eugène-Delacroix. L’été, il travaille sans relâche dans un hôtel sur une île des Cyclades afin de payer la scolarité qui s’élève à près de 5 000 euros l’année. Mais ses économies ne suffisent pas. Émue par sa volonté, l’équipe de l’ONG fait finalement appel à ses donateurs privés.
Amadou entre en Première ES pour passer son bac de français, devient délégué de classe, brille par son aptitude à débattre. « J’essaie de faire réfléchir mes camarades sur les préjugés qu’ils ont sur les réfugiés et les migrants. C’est difficile de convaincre ceux qui ont les idées les plus extrêmes, mais avec ceux qui n’ont pas une opinion bien arrêtée, j’y arrive ! » assure-t-il.
Durcissement du droit d’asile
Amadou suit l’actualité avec passion et va même jusqu’à lire la presse d’extrême droite. « Il faut savoir comment ces personnes pensent pour mieux combattre leurs idées. » À l’entendre, on le verrait bien se lancer dans une carrière politique. Mais lui veut « travailler dans de grandes organisations internationales pour développer le continent africain, donner accès à l’éducation à un plus grand nombre, éviter la fuite des cerveaux, œuvrer à une meilleure redistribution des richesses pour lutter contre la pauvreté ».
« Je n’ai pas la chance d’avoir le bon passeport. Mais le monde change et demain, peut-être, les dirigeants européens se rendront compte de l’importance de nous intégrer, nous, jeunes réfugiés. » Amadou Diallo
À l’automne dernier, après un exposé, sa professeure d’histoire lui suggère de postuler à Sciences Po. Il prépare son dossier, une lettre de motivation et un CV. Admissible, il passe ensuite un entretien par visioconférence, puis reçoit quelques semaines plus tard un e-mail : « J’étais admis, je n’y croyais pas ! J’étais extrêmement touché car à aucun moment, je n’ai été discriminé parce que j’étais réfugié. » Amadou obtient même la bourse Emile-Boutmy prévoyant une exonération complète des droits de scolarité. « Mais je ne peux pas vraiment le célébrer, constate-t-il. J’attends de voir si j’aurai mes papiers pour rejoindre le campus en septembre. »
Depuis le vote d’une nouvelle loi sur l’asile en novembre 2019, l’obtention du statut de réfugié est devenue plus compliquée en Grèce. Les entretiens sont accélérés, les histoires personnelles, le stress post-traumatique et le concept de « vulnérabilité » sont désormais peu pris en compte. « Aucun adolescent ne risque sa vie dans une traversée périlleuse sans une vraie raison, insiste Sofia Kouvelaki. Ces enfants réfugiés sont le futur de l’Europe. Ce n’est pas une question de crise migratoire mais de développement social de nos sociétés. »
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Amadou, en jeans et baskets, déambule dans les rues du quartier de Syntagma pour rejoindre ses amis franco-grecs. Son horizon est incertain mais il reste optimiste : « Je n’ai pas la chance d’avoir le bon passeport. Mais le monde change et demain, peut-être, les dirigeants européens se rendront compte de l’importance de nous intégrer, nous, jeunes réfugiés. »