Source : Médiapart - Olivier Bertrand - 30/4/2020
Mehdi Medjahed est arrivé en France il y a treize ans. Interpellé lors d’un contrôle policier qui a dégénéré, cet agent de sécurité incendie a fait l’objet avant même la fin de sa garde à vue d'une obligation préfectorale à quitter le territoire.
l est l’un de ces salariés de « première ligne » dont parle le président de la République. L’un de ceux qui continuent de travailler malgré la pandémie. Mehdi Medjahed n’est pas soignant, ni pompier ou ambulancier : il est agent de sécurité incendie, mais il se trouve aussi en situation irrégulière en France.
Vendredi 24 avril, il a été arrêté alors qu’il allait acheter à manger avant de rejoindre son travail. Il affirme avoir subi des violences policières, avant d’être placé en rétention dans l’un de ces centres où, selon le discours officiel, ne sont actuellement placés que des sortants de prison…
Il était environ 17 heures, quand Mehdi Medjahed (36 ans) arrive au métro Barbès-Rochechouart, à Paris. Il vient de Belleville, travaille porte de Saint-Cloud, mais pour rompre le jeûne le soir, il fait ses courses dans ce quartier de Barbès aux nombreux commerces tenus par des Algériens originaires, comme lui, d’Annaba, dans le nord-est de l’Algérie. En bas des marches, près de la sortie du métro, trois policiers se trouvent « en mission de sécurisation du ramadan et de contrôle des attestations de déplacement au vu de l’état d’urgence sanitaire », selon leurs rapports après l’interpellation.
Un brigadier lui demande papiers et justificatifs de déplacement. Il montre l’attestation fournie par son employeur, l’application depuis laquelle il remplit d’ordinaire son attestation de déplacement dérogatoire. Selon son récit, il explique qu’il est sans papiers mais se rend au travail. Le policier aurait répondu : « Comment tu pourrais travailler puisque tu n’as pas de papiers ? »
Mehdi Medjahed est arrivé en France il y a treize ans, il a eu un titre de séjour avec la mention « étranger malade », puis au moment du renouvellement il a voulu obtenir un titre avec mention « salarié », puisqu’il travaillait depuis dans la sécurité. Il a produit un contrat de travail, mais on lui a demandé de prouver qu’il avait suivi une formation ad hoc, il a envoyé l’attestation de formation trop tard, sa demande a été rejetée définitivement en février dernier. Depuis, il est en situation irrégulière.
Le ton serait monté et Mehdi Medjahed reconnaît avoir essayé de reprendre ses papiers des mains du fonctionnaire, en disant, selon lui : « Tu parles mal, je vais montrer mes papiers à tes collègues. » Puis, alors qu’il tournait la tête vers ces derniers, le policier lui aurait porté un coup avant de le faire tomber au sol, où ses collègues l’ont aidé à le menotter. « L’un d’eux se comportait mieux, dit Mehdi. Avec son regard, il me montrait qu’il n’était pas accord avec ce que faisaient ses collègues. »
Les policiers n’ont pas la même version. L’un d’eux affirme dans un procès-verbal que l’interpellé s’est d’abord montré « virulent et agressif dans ses gestes et ses paroles ». En « arrachant des mains » du brigadier les papiers, il aurait fait tomber le téléphone professionnel de ce dernier. « Dans le même temps, poursuit le rapport, l’intéressé se baisse rapidement pour attraper son sac à dos posé au sol au début du contrôle et avant qu’il n’ait fini de se relever pour prendre la fuite, le brigadier le saisit au niveau de la taille. » Selon le policier, « l’individu » aurait été alors « déséquilibré » par le poids du brigadier, sa tête aurait « heurté le sol », occasionnant « un léger saignement ». Une déclaration qui ne colle pas avec les marques, cinq jours plus tard, sur le visage de l’interpellé.
Mehdi Medjaheb, cinq jours après son interpellation.
Placé en garde à vue au commissariat du XVIIIe arrondissement, Mehdi Medjahed a vu un médecin vers 23 h 15. « Il plaisantait avec les policiers, il les connaissait tous. Je lui ai dit que mon nez était cassé, il m’a dit : “Il est pas cassé, vous inquiétez pas c’est pas grave.” » Le certificat estime à quatre jours l’incapacité totale de travail, et ne relève que des « lésions superficielles » sur le visage.
Le responsable à l’unité médico-judiciaire Paris-Nord explique que ses médecins voient « trente fois par jour » des gens qui « prennent des coups ». S’ils considèrent qu’il n’y a pas d’urgence, « que cela peut attendre quelques heures », ils recommandent aux gardés à vue « d’aller faire des radios en sortant ». De toute façon, ajoute-t-il, « ceux qu’on voit en garde à vue ont déjà eu un premier filtre. S’ils ne vont pas bien, les policiers appellent les pompiers qui les conduisent à l’hôpital, ils ne les placent pas en cellule ».
Mehdi Medjahed a été placé samedi soir au centre de rétention du Mesnil-Amelot en Seine-et-Marne. Dimanche, deux jours après l’interpellation, au vu de son état, d’autres policiers du centre de rétention l’ont conduit au centre hospitalier de Meaux. « Ici, disait-il mardi matin au téléphone, les policiers ne sont pas comme ceux qui m’ont contrôlé. Ils se comportent bien. Quand je suis arrivé, une dame m’a dit : “Vous ne pouvez pas rester comme ça, il va falloir vous amener à l’hôpital.” » Un nouveau certificat médical est établi, relevant un traumatisme crânien, une fracture du nez, des hématomes autour des yeux, une cervicalgie et de multiples contusions sur le corps.
Les policiers du XVIIIe arrondissement accusent de leur côté Mehdi Medjahed de rébellion et violences envers une personne dépositaire de l’autorité publique – le brigadier qui l’a contrôlé se plaint « de fortes douleurs au quatrième doigt de la main gauche ». Mais à l’issue de la garde à vue, la procureure a ordonné une remise en liberté, aucune charge n’a été retenue, ce qui est rare dans le cas de violences contre des policiers. Sollicitée mardi matin, la préfecture a répondu mercredi soir, sans un mot sur les circonstances de l’arrestation, sur les violences policières alléguées.
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Avant la fin de la garde à vue, le préfet de police de Paris a décidé d'une obligation pour Mehdi Medjahed à quitter le territoire sans délai. Une procédure administrative, à l’écart de la justice, et assortie d’une interdiction de retour pendant trois ans. Aucune enquête n’a tenté de démêler les versions contradictoires des policiers et de l’Algérien – qui n’avait jamais été condamné auparavant.
« C’est intéressant, note son avocat Ruben Garcia, car si on écoute le ministre de l’intérieur on ne place plus en rétention que ceux qui sortent de prison, qui ont commis des crimes ou délits graves. On voit bien que c’est faux. Ici c’est une interpellation sur la voie publique. J’ai un autre client qui a été placé pour contrebande, on avait trouvé des cartouches de cigarettes dans sa voiture… »
Ce mercredi matin, 62 personnes restaient présentes au CRA du Mesnil-Amelot, sans possibilité d’expulsion pour la plupart. Les seuls départs ces derniers jours ont concerné des ressortissants européens reconduits vers les Pays-Bas et le Portugal, un départ groupé vers l’Albanie pour des retenus de Lille, de Lyon et du Mesnil-Amelot, et ce mercredi soir un vol était prévu de Roissy pour une quinzaine de retenus Roumains.
Vers l’Algérie, aucun risque d’être expulsé : les frontières sont fermées pour un moment. Mehdi Medjahed a cependant passé deux jours en rétention. Présenté mardi à un juge des libertés et de la détention il a été relâché : sa garde à vue avait duré plus de vingt-quatre heures, sans procès-verbal de prolongation, la procédure irrégulière. Il est ressorti du CRA mardi soir, le parquet ayant renoncé à faire appel. Mehdi Medjahed reste sous le coup de l’obligation de quitter le territoire. Il va retourner travailler en première ligne. Chaque trajet représentera désormais un danger supplémentaire pour lui.