Source : Le Monde - Jean-Pierre Stroobants - 20/7/2019
Pour tenter de contourner le blocage politique et éviter des drames, une solution temporaire est envisagée pour répartir les migrants entre les pays volontaires.
Pour tenter d’éviter l’errance de bateaux qui recueillent des migrants en Méditerranée et auxquels le ministre italien de l’intérieur, Matteo Salvini, refuse l’accès, la France et l’Allemagne ont mis au point un projet temporaire qu’elles espèrent voir approuver, lundi 22 juillet, à Paris.
Ce texte, soutenu par la présidence finlandaise de l’Union est prudent, concret, et il rappelle quelques valeurs humanitaires auxquelles l’Union européenne devrait, en théorie, souscrire. Et pourtant, il ne fait pas l’unanimité et devrait récolter, au mieux, l’approbation de la moitié des Vingt-Huit. Les pays de l’Est, Hongrie et Pologne en tête, continuent de refuser toute allusion à l’idée même d’un accueil de demandeurs d’asile.
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Le dernier épisode d’un bateau contraint de tourner en rond dans l’attente d’un débarquement a été celui du Sea-Watch 3. Il s’est terminé, au bout de deux semaines, par l’arrestation, en Sicile, le 29 juin, de Carola Rackete, la capitaine allemande de ce bateau au pavillon néerlandais qui avait recueilli 40 naufragés. Elle avait fini par accoster de force sur l’île de Lampedusa, malgré le veto des autorités italiennes. Un juge avait, trois jours plus tard, retenu le motif humanitaire pour décider d’une relaxe, mais la jeune femme a quand même été entendue, jeudi 18 juillet, par les autorités judiciaires d’Agrigente (Sicile), dans le cadre d’une enquête sur une possible aide illégale à la migration.
Mme Rackete a indiqué qu’elle espérait une solution européenne pour éviter ce genre de situation. A Strasbourg, Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission a, elle, plaidé pour la reprise des missions de secours en mer et pour une politique commune d’asile. Un dossier que les Vingt-Huit ne sont pas parvenus à régler depuis 2015. La réforme du mécanisme de Dublin, qui délègue la responsabilité de l’examen de la demande d’asile au premier pays qui accueille le candidat réfugié, est, elle aussi, à l’arrêt.
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Débarquement rapide
C’est pour tenter de contourner l’obstacle et d’éviter des drames, alors que les mouvements vers les côtes européennes ont repris et que la situation politique et humanitaire se détériore en Libye, que les responsables français et allemands ont élaboré un texte consulté par Le Monde. Il vise à instaurer un mécanisme de solidarité pour permettre le débarquement rapide de migrants et leur répartition, tout aussi rapide, dans d’autres pays membres, qui examineraient leur dossier.
Le ministre français de l’intérieur Christophe Castaner et son homologue allemand Horst Seehofer évoquent une relocalisation rapide des arrivants dans d’autres pays que ceux où ils débarquent et une procédure accélérée de retour pour ceux qui ne peuvent prétendre au statut de réfugié.
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Les ministres entendent aussi imposer des conditions strictes aux bateaux des ONG : respect des instructions données par le Centre de coordination des secours, interdiction de débrancher les transpondeurs, d’envoyer tout signal aux embarcations ou encore de compliquer la mission des garde-côtes.
La proposition évoque, enfin, une aide accrue aux pays d’origine ou de transit et le renforcement des moyens des gardes-côtes des pays du sud de la Méditerranée. D’autres garanties sont offertes aux capitales les plus réticentes, dont le fait que ce mécanisme d’accueil rapide prendrait fin dès octobre.
A l’heure actuelle, quatre pays auraient, outre la France, l’Allemagne et la Finlande, accepté de s’engager
Qui ferait partie de cette « coalition de volontaires ? » Certainement pas les pays de l’Est qui disent redouter « un appel d’air ». L’Italie et Malte qui, en échange de l’ouverture de leurs ports, n’auraient plus à gérer les nouveaux arrivants ? Les deux pays sont réticents et, avec son sens théâtral habituel, Matteo Salvini a indiqué qu’il valait mieux « ne pas se fier à la répartition ». « Il a été moins caricatural lors de la discussion et on arrivera peut-être à le convaincre », confie cependant une source ministérielle.
A l’heure actuelle, quatre pays auraient, outre la France, l’Allemagne et la Finlande, accepté de s’engager et quatre ou cinq autres réfléchiraient. L’espoir de Christophe Castaner est d’en regrouper finalement « une quinzaine », lundi. Les ministres des affaires étrangères et de l’intérieur se réuniront à Paris avec la Commission européenne, l’agence des gardes-côtes et gardes-frontières Frontex, le haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies, l’Organisation internationale des migrations, etc.
« Le défi des arrivées par la mer ne peut pas être de la seule responsabilité d’une poignée d’Etats membres », répète Dimitris Avramopoulos, le commissaire européen à la migration. C’est toutefois bel et bien le cas depuis plus de quatre ans, sans sanction pour ceux qui refusent le principe de solidarité.
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